lundi 30 janvier 2017

Ce qui doit être, ou ce qui peut être?

Dans le merveilleux contre de Noël* de Charles Dickens, le vieil Ebenezer Scrooge, désemparé après son funeste périple aux bras du troisième esprit, demande à ce dernier: «Tout ceci, est-ce l'image de ce qui doit être, ou seulement de ce qui peut être?»

«Quand les hommes s'engagent dans quelques résolutions, elles leur annoncent certain but qui peut être inévitable, s'ils persévèrent dans leur voie. Mais, s'ils la quittent, le but change; en est-il de même des tableaux que vous faites passer sous mes yeux?»

Le conte que j'ai sous ma loupe** ne remonte pas à l'époque de Dickens. Il est contemporain. 2017. Et les deux spectres qui n'ont fait revivre le passé, avant de me ramener au présent pour me projeter vers le futur, comme les fantômes de Scrooge, laissent sur mes lèvres les mêmes interrogations qui hantaient le personnage de Dickens.

Le chant de Noël de Scrooge et la famille Cratchit, tous ceux et celles qui l'ont lu ou vu au petit écran le savent, connaît une fin heureuse. Une fin comme je les aime.

Ce que je viens de terminer n'a rien de joyeux. Presque personne ne le lira en entier. Ce ne sera jamais un succès de librairie ou de cinéma. Et pourtant, ses auteurs, René Houle et Jean-Pierre Corbeil, je n'en doute pas un instant, ont certainement signé ces 140 pages de textes et de tableaux dans l'espoir que quelqu'un pose les questions de Scrooge... et agisse pour dissiper les sombres chapitres qui pointent à l'horizon.

MM. Houle et Corbeil n'ont pas la plume de romanciers. Ce sont des statisticiens, personnages fantomesques s'il en fut dans l'anonymat bureaucratique fédéral, et ils nous transportent dans une chasse-galerie où les chiffres s'alignent comme tant d'énigmes à résoudre. Mais le fond des légendes porte les mêmes ciments. Le bien contre le mal. L'amour contre la haine. La générosité contre l'appât du gain. Le malheur, le bonheur. La vie, la mort.

Le personnage de Scrooge incarne son époque, le 19e siècle en industrialisation. Issu d'un milieu modeste, ayant connu amour, solidarité, espoir, il est corrompu par les vices de l'argent et s'enrichit sur le dos de pauvres gens. Un vrai capitaliste. Son déclin le laisse seul et amer, jusqu'à ce que trois esprits lui fassent revisiter son passé, son présent et ouvrent une fenêtre sur l'avenir...

Mes deux fantômes de Statistique Canada n'oseraient pas sécher ainsi leur encre sur papier. Mais dans la toile aride de tableaux et d'analyses qu'ils étalent sur un ton de fausse neutralité, ils nous (nous, les parlant-français de ce pays) accrochent par le bras et nous prient de voir au-delà de leurs chiffres, où un peuple dépérit à vue d'oeil depuis un demi-siècle.

Avec la précision d'un chirurgien, avec des expressions comme langue maternelle, langue d'usage, première langue officielle parlée, transferts linguistiques, continuité intergénérationnelle, ils nous mettent au défi de voir la réalité humaine que leurs tableaux décortiquent.

On y devine les relents d'un peuple combatif, ayant transmis depuis des siècles des valeurs d'entraide, de solidarité, ses coutumes, ses patois, ses expressions, cette belle langue issue de France, confrontée depuis la seconde moitié du 20e siècle à une anglicisation accélérée dans un contexte économique anglo-dominant....

En quelques générations, les accents, les chants, les musiques ont cédé le pas à l'anglais intensif, au chacun pour soi, à l'indifférence culturelle. L'Île de Montréal sera bientôt perdue. Houle et Corbeil font apparaître ce qui restera de nous en 2036, et ce n'est guère édifiant. Ils tracent avec une précision effarante le déclin et la mort d'un peuple: le nôtre.

Je vous fais grâce des chiffres. Mais j'ai lu ce texte en entier - les 140 pages - et je sais une chose avec certitude. Quand, en 2036, nous ne seront plus que 69% de la population québécoise et 17% de la population canadienne, il sera trop tard. Notre pierre tombale sera dressée.

Alors je repose à mes deux statisticiens-fantômes la question de Scrooge: «Tout ceci, est-ce l'image de ce qui doit être, ou seulement de ce qui peut être?»

Nous sommes en 2017.... Allons-nous périr tout doucement, fonçant allègrement dans l'immersion anglaise pour aboutir à une paix linguistique permanente? Ou reste-t-il quelque force collective, quelque élan insoupçonné, capable de donner le coup de barre qui fera du français la véritable langue commune du Québec, dans le commerce, au travail, dans la rue, partout où il le faut, dans ce demi-État que nous peinons depuis trop longtemps à transformer en pays à notre image?

J'espère toujours, à la Dickens, une fin heureuse...

Merci, René Houle et Jean-Pierre Corbeil...

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* Le cantique de Noël, de Charles Dickens, texte intégral bit.ly/2jRh5em
** Projections linguistiques pour le Canada, 2011-2036, par René Houle et Jean-Pierre Corbeil, Janvier 2017. bit.ly/2jSUpeu

lundi 23 janvier 2017

Le 4e pouvoir? La bête est blessée...

photo MSNBC

Ce samedi 21 janvier, premier jour complet de la présidence de Donald Trump, ce dernier s'est rendu au siège social de la CIA (Central Intelligence Agency) et a profité de sa visite pour déclarer que les journalistes étaient les «humains les plus malhonnêtes de la planète» (journalists, whom he called "the most dishonest human beings on Earth" - Washington Post, wapo.st/2jQCKpU).

Le même jour, son secrétaire de presse Sean Spicer haranguait la presse à la Maison Blanche en les accusant faussement d'avoir sous-estimé l'ampleur de la foule à l'inauguration de Donald Trump, et se donnant des airs d'apprenti Goebbels, leur a clairement indiqué le genre de couverture attendu par son patron "what you guys should be writing", CNN, cnnmon.ie/2jhAmro). Un journaliste présent a dit trouver le sermon sinistre ("chilling")

Soyez en sûrs, ça ne fait que commencer. Et le pire, c'est que dans un monde médiatique où, à l'exception de quelques grandes organisations, les salles de rédaction sont trop souvent en voie d'être réduites à leur plus simple expression, les journalistes sont moins nombreux, moins soutenus, et malheureusement, dans bien des milieux, moins combatifs... J'entendais hier à CPAC que le Canada compte 10 000 journalistes de moins qu'il y a quelques décennies... Le quatrième pouvoir? La bête est blessée... et vulnérable.

Permettez-moi de prendre pour exemple les marches des femmes du samedi 21 janvier, aux États-Unis et à travers le monde. Sur les sites Web des grands quotidiens, des réseaux de télé et des médias Internet, des images et des comptes rendus ont défilé toute la journée, montrant des foules parfois immenses (pas seulement des femmes) réunies dans leur opposition à Trump. Plus de 600 manifs aux États-Unis seulement, dans les 50 États! Et ça, c'est sans compter les rassemblements sur tous les continents, y compris au Québec et au Canada.

Sur fond de querelle entre l'administration Trump et les journalistes, portant notamment sur les évaluations de foules, j'avais hâte de voir les deux journaux papier auxquels je suis abonné, Le Devoir  et Le Droit, pour lire quelques comptes rendus des manifestations des femmes de samedi. Selon les rapports de presse, il y avait, à Washington seulement, trois fois plus de manifestants que de partisans de Trump, la veille... Et selon les rapports médiatiques, il y avait 750 000 personnes aux manifs de Los Angeles, s'ajoutant aux 500 000+ dans la capitale américaine...

Je cueille mon Devoir vers 7 heures ce matin et surprise! il n'y a rien, mais absolument rien sur les manifestations de samedi à la une. Vivement les pages intérieures... Une photo à la page 3... puis pas grand chose. À peine quelques paragraphes dans un texte qui porte sur la polémique entre Trump et les médias, et des allusions dans une chronique qui parle davantage des enjeux que du déroulement des manifs. Est-mon mon imagination? Pas d'éditorial, pas de reportage, pas d'analyse... Je n'ai pourtant pas affaire à une binerie... c'est Le Devoir, notre quotidien national. J'aurais bien aimé feuilleter La Presse, mais je devrai attendre à samedi prochain. Trop tard... Quant au Journal de Montréal, qui publie le dimanche, ce sont des manchettes d'hier...

Je passe en second au Droit, qui m'offre en page deux un bon compte rendu de la manifestation des femmes à Ottawa, mais encore là, pour le reste, à peine quelques paragraphes dans un texte qui titre sur la renégociation de l'ALÉNA. Rien pour dire l'ampleur des rassemblements chez nos voisins du Sud et ailleurs. En passant, Le Devoir ne semble même pas avoir couvert la marche des femmes de Montréal... Je sais que les rédactions sont encore plus démunies en fin de semaine, mais reste-t-il quelqu'un pour porter de solides jugements journalistiques en matière de priorités d'information?

Moi je suis seul dans mon petit bureau à domicile et en une heure et quart, j'ai réussi en naviguant le Web à dresser un portrait, incomplet certes, mais tout de même impressionnant des foules qui ont marqué cette journée unique de l'histoire américaine (et du monde). Vous souvenez-vous d'une inauguration présidentielle précédente qui ait fait descendre, dès le lendemain, plus de trois millions de protestataires dans les rues, partout au pays???

Alors, si vous êtes patients, voici une liste sans doute partielle de villes américaines où les femmes et leurs alliés ont manifesté contre Donald Trump et ses hordes barbares:

Los Angeles - 750 000 personnes
Washington - 500 000 +
New York - 400 000 +
Chicago - 250 000
Boston - 175 000
Seattle - 175 000
Denver 100 000 +
Minneapolis/St. Paul - 100 000
Portland, Oregon - 100 000
San Francisco - 100 000
Oakland - 60 000
Atlanta - 60 000
Philadelphie - 50 000
San Diego - 40 000
Austin, Texas - 35 000
San Jose, Calif. - 25 000
Des Moines, Iowa - 25 000
Houston, Textas - 22 000
Phoenix - 20 000
St. Petersburg, Fl. - 20 000
Raleigh, Caroline du Nord - 15 000
Ann Arbor, Michigan - 11 000
St. Louis - 10 000 +
Miami - 10 000 +
Reno, Nevada - 10 000 +
Charlotte, Caroline du Nord - 10 000
Asheville, Caroline du Nord - 10 000
Nouvelle-Orléans - 10 000

Je vous fais grâce de centaines d'autres ayant regroupé moins de 10 000 manifestantes et manifestants. La liste prendrais des pages entières, pour les États-Unis seulement.

C'est décourageant. Trump ment. Son secrétaire de presse ment et menace les médias. Les journalistes doivent se mettre en mode résistance. Et le meilleur moyen de résister c'est de bien informer le public lecteur, pour qu'il soit en mesure de formuler des jugements fondés sur les faits, et non sur le spin des puissants et des médias sociaux... Ce matin, «ma» presse écrite - mon Devoir, mon Droit - ont failli à la tâche.

Un grand affrontement a débuté en fin de semaine et il nous concerne tous. Et dans mes deux quotidiens, il n'y avait même pas de mention digne de ce nom à la une...










mardi 10 janvier 2017

La recette parfaite pour l'assimilation...

Les maisons de sondage nous annoncent régulièrement, en dépit de variations ça et là, que les collectivités francophones et anglophones du Canada s'estiment majoritairement «favorables» au bilinguisme. Ce que cela signifie en réalité reste pour moi un mystère. Dans la vraie vie, la proportion d'Anglo-Canadiens bilingues est en baisse, et à chaque incident linguistique (p. ex. demander un 7up en français dans un avion...) les médias de langue anglaise sont inondés de commentaires haineux à l'endroit du Québec, des francophones et de la langue française…

Le plus récent coup de sonde, celui qu'a tricoté la maison Ad Hoc Recherche pour le ministère fédéral du Patrimoine canadien (voir dans Le Devoir bit.ly/2iFqyaG), remet également à l'avant-scène quelques-unes des platitudes habituelles mais fait tout de même ressortir de façon un peu plus percutante certaines différences appréciables entre francophones (principalement au Québec) et anglophones à travers le pays.

On songe notamment à cette perception, très majoritaire chez les parlant français mais nettement minoritaire chez les Anglos-in-et-hors-Québec, que l'avenir du français soit menacé au Canada. Cela tendrait à expliquer pourquoi, comme d'habitude, ces sondages n'intéressent que les médias de langue française, davantage conscients de notre situation de village assiégé dans une Amérique septentrionale anglo-dominante. Les Canadians de langue anglaise, reflets fidèles de leurs médias et de leur éducation, ne comprennent absolument rien à notre dynamique linguistique.

Ces derniers temps, cependant, même les équipes éditoriales francophones du Québec me semblent parfois confuses devant le casse-tête du bilinguisme. Le thème m'apparaît d'ailleurs peu prisé dans les salles de nouvelles, peut-être parce qu'il nécessite beaucoup de fouilles, de calculs et de réflexion. Dans des rédactions amincies où les citrons sont déjà trop pressés par des entrepreneurs plus avides de profits que d'information, la recherche sur la situation de la langue française se dirige tout doucement vers les tablettes, sauf quand une étincelle vient faire sauter l'un des nombreux barils de poudre qui traînent dans le décor québécois et canadien…

Le sondage Ad Hoc, révélé par le journaliste Philippe Orfali, un Franco-Ontarien issu du quotidien Le Droit qui oeuvre maintenant au Devoir, contient cependant des pistes intéressantes à suivre, si ce n'est que par l'abondance des données qu'il abrite - y compris plus de 350 pages de tableaux détaillés.

* Une question d'abord. Pourquoi apprend-on l'existence et les résultats de cette enquête en janvier 2017 alors que la collecte des données s'est faite en avril et en mai 2016? Même question pour le dernier sondage du Commissariat aux langues officielles, réalisé en mars 2016 et rendu public en octobre 2016… En période électorale, on réussit à nous infliger des sondages quotidiennement, presque en temps réel…

* Une constatation ensuite. La proportion de répondants bilingues au Québec s'établit à 53% de l'échantillon total, alors que selon le recensement de 2011, environ 42% de la population québécoise connaît le français et l'anglais. Les bilingues sont donc surreprésentés dans l'échantillon global, à moins que le profil linguistique du Canada n'ait beaucoup évolué en cinq ans. Les unilingues français sont légèrement sous-représentés, alors que anglophones unilingues sont légèrement surreprésentés…

* Une autre donnée assez remarquable… Au Québec, 29 répondants au sondage se sont dits de langue maternelle anglaise, et 32 Québécois ont répondu au sondage en anglais. Hors Québec, 45 répondants se sont déclarés de langue maternelle française, mais seulement 13 d'entre eux ont répondu au sondage en français (7 au Nouveau-Brunswick, 6 en Ontario)… Quelle conclusion doit-on en tirer?

* Le sondage Ad Hoc révèle que 75% des Québécois sont intéressés à en savoir davantage sur les francophones des autres provinces. C'est un pourcentage substantiellement plus élevé que celui des autres provinces, où les majorités anglophones connaissent assez peu leurs collectivités acadiennes et canadiennes-françaises… En tous cas, si ce coup de sonde vise juste, les médias québécois auraient avantage à suivre d'un peu plus près l'actualité francophone ailleurs au pays…

* Assez bizarrement, le sondage indique que les Québécois sont également intéressés, plus que les répondants des autres provinces, à mieux connaître les «communautés francophones» du Québec… Personne n'explique par ailleurs ce qu'est au juste une «communauté francophone» (il y en aurait plus d'une) au Québec… Drôle d'expression que je n'ai jamais vue auparavant… Nous sommes une nation, un peuple, à la limite une collectivité… mais un groupe de communautés?

* Autre fait bizarre. On sonde les francophones et les anglophones sur leur degré d'intérêt pour la consommation de produits culturels (spectacles, musique, livres, films, télé) en anglais, mais pas pour des produits culturels en français (à moins qu'ils n'aient pas révélé les résultats…). Quoiqu'il en soit, c'est étrange, les Québécois s'intéressent davantage aux produits culturels en anglais que les anglophones des autres provinces (64% au Québec contre 36% en Ontario). Je dois avouer que je n'y comprends rien…

* Une dernière observation. Les sondeurs préfèrent la «première ou principale langue officielle» (PLO) comme critère d'identification d'un répondant à un groupe linguistique. Au Québec, cela fait passer l'échantillon anglophone de 29 (selon la langue maternelle) à 53 (selon la PLO). Hors Québec, l'échantillon francophone rétrécit de 45 (langue maternelle) à 30 (PLO). Ce critère fait ressortir le pouvoir assimilateur de l'anglais, tant au Québec que dans les autres provinces.

Je poursuis ma lecture des données mais l'impression générale laissée est la suivante...

Les francophones (très majoritairement québécois) et les anglophones du Canada appuient majoritairement (avec certains écarts) les grands principes de la dualité linguistique canadienne. Cependant, quand vient le temps de l'intégrer dans sa vie quotidienne ou de consentir des efforts d'acquisition de la langue seconde, l'immense majorité des anglophones ne sont plus dans le coup… Peut-être estiment-ils qu'ils n'en ont pas vraiment besoin...

En tout cas, c'est la recette parfaite pour l'assimilation des francophones, à court et à moyen terme dans les régions où ils sont minoritaires, et à plus long terme au Québec même…








vendredi 6 janvier 2017

Bilinguisme… Le coeur de pomme...

Photo des archives, Le Droit

Je m'interrogeais sur la valeur du sondage sur le bilinguisme dévoilé par le journaliste Philippe Orfali dans le quotidien Le Devoir quand je suis entré au «Apple Store» du mail commercial Rideau Centre (l'ancien nom bilingue s'est évaporé) à Ottawa, en fin de matinée, hier.

Réalisé par la maison Ad Hoc Recherche de Montréal, ce nième coup de sonde des collectivités francophones et anglophones du Canada semblait, à prime abord, démontrer moins d'enthousiasme pour la dualité linguistique que le sondage publié en octobre 2016 par le Commissariat aux langues officielles, où 84% des répondants se disaient «en faveur» du bilinguisme au pays. Même que 87% disaient vouloir qu'Ottawa soit reconnue comme capitale «officiellement bilingue»…

En attendant de décortiquer les données des recherches d'Ad Hoc et de les comparer aux autres résultats lancés dans les médias depuis le début de la décennie, je me suis tout à coup retrouvé dans mon propre petit «sondage» maison au coeur de la capitale fédérale, dans un magasin ultra fréquenté où une proportion appréciable de la clientèle est francophone, à deux pas de la Basse-Ville ottavienne jadis majoritairement canadienne-française, de la bilingue-bilingual Université d'Ottawa et de la Colline parlementaire, siège de la fédération…

Le personnel du magasin Apple, d'ailleurs fort gentil et serviable, m'accueille en anglais seulement. Pas de surprise là, je n'avais pas vu un mot de français depuis mon arrivée au Rideau Centre à l'exception du nom d'une boutique, Anthropologie… «Parlez-vous français?», dis-je au préposé. De toute évidence, pas suffisamment pour me servir, mais il m'indique - en anglais - qu'on trouvera un employé bilingue pour me servir. «He will be here in one minute», m'assure-t-il.

Je me parque près d'une des nombreuses tables et note la présence d'un assez grand nombre d'employés - une quinzaine peut-être… Certains attendent de servir les clients qui se présenteront… J'en déduis qu'ils sont unilingues anglais, puisqu'on ne les dirige pas vers moi… La minute passe, puis une deuxième, puis cinq, puis dix… Le préposé à l'accueil m'explique que le francophone de service est à l'entrepôt, à l'arrière, et qu'on me l'enverra dès qu'il sera disponible… Je lui remarque que c'est difficile se faire servir en français, ces jours-ci. «That's Ottawa», me répond-il candidement…

J'ajoute aussitôt: «Il n'y a qu'un employé qui parle français?» Il y en aurait peut-être un deuxième, à bien y penser, ajoute-t-il. Son manque de certitude n'est guère rassurant, mais enfin… On verra. J'étais bien décidé à attendre tout l'avant-midi s'il le fallait… contrairement à d'autres francophones que j'ai vus hier. Ceux-là, celles-là ont immédiatement viré à l'anglais (ou s'étaient carrément adressés au préposé en anglais dès le départ). On les reconnaît à l'accent ou au fait qu'ils parlent français à leur compagnon ou compagne s'ils n'entrent pas seuls...

Pendant ce temps, je reste planté là. Les clients se succèdent à l'accueil et sont servis sans délai… en anglais. Des individus qui sont arrivés après moi avaient déjà quitté avec leur achat quand finalement, un type arriva pour me servir dans ma langue officielle que, selon les sondages, une vaste majorité de ses collègues anglophones sont censés apprécier… Pire que ça, je suis dans une ville où, selon le recensement de 2011, le tiers des anglophones disent pouvoir parler français !

Comme celui qui me servait semblait être un francophone de souche (comme un autre de ses collègues que j'ai entendu à une table voisine, traduisant pour une francophone aux prises avec un technicien unilingue anglais), je me suis demandé quelles étaient les probabilités de tomber sur une douzaine de jeunes Anglos tous unilingues dans une ville où l'immersion française semble plus souvent la règle que l'exception… Se pourrait-il que des gens exagèrent leurs prouesses linguistiques en répondant aux questionnaires du recensement fédéral? Et alors, donnent-ils toujours l'heure juste aux sondeurs de Graham Fraser et Mélanie Joly?

Récapitulons. Dans ce qui m'apparaît comme un microcosme de l'ambiance linguistique de la capitale canadienne, j'ai vu un groupe d'anglophones fort sympathiques envers les francophones mais totalement incapables de les servir dans leur langue, des francophones presque tous bilingues acceptant volontiers d'utiliser sans protester l'autre langue officielle, et une situation (sans doute répandue) où il faut insister et attendre pour obtenir - quand cela est possible - des services en français…

Et quand on ajoute que la longue attente d'un service en français a fait gonfler ma facture de stationnement au Rideau Centre, mon insistance a eu pour résultat que le iPad acheté en français pour mon épouse m'a coûté $1,50 de plus… Y'a rien comme la réalité pour mijoter les données d'un sondage sur le bilinguisme.

La réalité, c'est comme un coeur de pomme (même dans un magasin Apple…). C'est là qu'on trouve les pépins…

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NB. Le membre du personnel qui m'a servi en français était impeccable.




jeudi 5 janvier 2017

Sur un axe est-ouest, le centre du Québec, c'est Mont-Joli ou Baie-Comeau...

La frontière Québec-Labrador, en face, au-delà du détroit de Belle Isle...

Je syntonise invariablement Météomédia en faisant le lit, le matin, et au-delà du pléonasme ultra-vicieux qui amorce chaque bulletin local («Voici vos prévisions locales pour votre région»…), je regarde toujours avec intérêt les cartes des différentes régions météo du Québec, version Météomédia, où les notions de sud, d'est, de centre et d'ouest (et même nord) en prennent pour leur rhume…

Situer Sherbrooke dans le «centre du Québec» alors que la reine des Cantons de l'Est repose à l'extrémité sud du territoire québécois - de fait c'est officiellement plus au sud que Montréal - c'est de la folie furieuse… Même sur le plan météo, la région sherbrookoise n'a pas de parenté évidente avec des régions comme Québec et la Mauricie, également incluses dans le «centre du Québec».

Quoiqu'il en soit, le public ayant lui-même peu de connaissance des points cardinaux, autre que de savoir où le soleil se lève et se couche, Météomédia (comme les autres médias) peut librement donner l'impression que telle ou telle localité se trouve dans l'ouest ou dans l'est sans personne ne se donne la peine de regarder la carte du Québec pour voir ce qu'il en est vraiment.

Alors si vous avez un peu de patience, allons-y. D'ouest en est, le Québec habité va de Ville-Marie, dans le Témiscamingue (longitude 79,4 degrés ouest, ou 79e méridien ouest) à Blanc-Sablon, près de la frontière du Labrador (longitude 57,1 degrés ouest). Pour ceux et celles qui ne le sauraient pas, Blanc-Sablon, c'est à l'est de Charlottetown, Halifax… et même de Corner Brook, Terre-Neuve!

Cela dit, le véritable centre géographique du Québec (sur l'axe est-ouest) serait situé un peu à l'ouest de Mont-Joli, entre Rimouski et Matane (longitude 68,2 degrés ouest)…

Entre Ville-Marie (79e méridien) et Blanc-Sablon (57e)

Si l'on divise le Québec entre est et ouest à partir d'une ligne verticale à Mont-Joli, il faut conclure que Rivière-du-Loup, Québec, Saguenay, Sherbrooke et toute la région administrative qu'on appelle «centre du Québec» font partie du secteur ouest. Baie-Comeau est en plein centre, comme Mont-Joli. Il ne restera, pour la zone est, que des localités comme Gaspé, Percé, Sept-Îles (longitude 66,3 degrés ouest), Fermont ainsi que Natashquan (au 62e méridien ouest)…

Si on choisit de diviser le territoire en trois zones à peu près égales, entre est et ouest, Gaspé (longitude 64,5 degrés ouest) serait à l'extrémité est de la zone centrale, et Sherbrooke (71,8 degrés ouest) près de la frontière ouest de ce même secteur du centre. Également dans ce tiers central on retrouverait Saguenay, Québec (longitude 71,2 degrés ouest), Rimouski, la Beauce… mais pas Trois-Rivières, qui ouvrirait la porte vers l'ouest…

Le tiers du territoire le plus à l'ouest inclut Granby, Saint-Hyacinthe, Montréal (longitude 72,9 degrés ouest), les Laurentides, Gatineau (75,6 degrés ouest), l'Outaouais ainsi que l'Abitibi-Témiscamingue et même Chibougamau…

Quant aux notions de nord et de sud, la carte nous montre à quel point nous oublions facilement l'existence de la majorité du territoire québécois. La localité à peu près la plus nordique, Salluit, est située au 62e parallèle. La plus méridionale serait probablement quelque village situé près de la frontière américaine, au 45e parallèle. Les villes de Gatineau (latitude 45,48), Montréal (45,51), Granby (45,39) et Sherbrooke (45,4) sont aussi à l'extrême sud.

Mais soyons clairs. Les points de peuplement au nord du 50e parallèle sont presque nuls. Fermont est situé au 52e parallèle, et plus près du 45e degré de latitude que du 62e de Salluit… Sept-Îles est probablement la ville plus plus nordique au 50e parallèle… Même Matagami, à l'extrême nord-est de l'Abitibi, est situé au parallèle 49,7… Alors la ville de Québec, au parallèle 46,8 est carrément dans le sud du territoire québécois…

Le véritable centre, sur l'axe nord-sud, se trouverait, disons, à un endroit comme Radisson, à l'est de la Baie James. On est là tout près du 54e parallèle…

Voilà un fouillis de chiffres, mais ils sont révélateurs. Nos notions d'est, d'ouest, de nord et de sud ont comme points de repères les zones habitées que nous connaissons bien, et l'idée que nous nous en faisons est souvent fort différente de l'image que projettent les cartes géographiques…

À l'été 2015, j'étais à Corner Brook, Terre-Neuve, et mon épouse et moi voulions prendre le traversier jusqu'à Blanc-Sablon à partir de la péninsule nordique occidentale de Terre-Neuve. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que nous irions en direction nord-est pour arriver au Québec…

En passant, les Îles-de-la-Madeleine sont également situées à l'est de Halifax et Charlottetown…

Et à Météomédia… regardez bien vos cartes, le Saguenay n'est pas du tout dans l'est du Québec…







mardi 3 janvier 2017

La citation complète de John A. Macdonald...

La citation de John A. Macdonald que j'ai diffusée sur Twitter aujourd'hui a suscité beaucoup d'intérêt. En réalité, la citation complète est plus longue et percutante. Je la reproduis ci-dessous sur mon blogue. Ce qu'elle révèle au sujet de John A. n'est pas une quelconque sympathie pour les Canadiens français de son époque, loin de là, mais plutôt une capacité d'analyse hors du commun et la franchise d'écrire ce qu'il pense. Si les Anglo-Canadiens faisaient souvent front commun contre les aspirations francophones, ils n'ont jamais formé un bloc homogène. John A. Macdonald était né en Écosse, pas en Angleterre...

Voici donc un extrait de la page 445 du livre Le capitalisme et la Confédération, de l'historien Stanley Ryerson (traduction de l'anglais, aux Éditions Parti Pris, 1972), qui contient la citation de Sir John A….
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«Cette conscience de l'importance de la question nationale pour les Canadiens français, (John A.) Macdonald l'avait clairement manifestée dans une lettre qu'il écrivait à un ami qui faisait partie de l'équipe de la Gazette de Montréal, lettre dont (l'historien anglo-canadien Donald) Creighton fait état dans sa biographie. Ayant observé qu'au Canada-Est (le Québec de 1840 à 1867) "plus de la moitié des postes rémunérateurs sont occupés par des gens qui ne sont pas d'origine française", ce qui illustre l'ascendant des Anglais dans le domaine politique, Macdonald donne l'avertissement suivant: "Prenez garde que les Français ne s'en aperçoivent et ne protestent!" Et il précise:

« "La vérité, c'est que vous, Anglais du Bas-Canada (le Québec de 1791 à 1840), ne pouvez pas oublier que vous avez déjà eu la suprématie et que Jean-Baptiste a été votre porteur d'eau et votre scieur de bois. La lutte que vous menez, comme celle des Protestants irlandais en Irlande ou celle des envahisseurs normands en Angleterre, ne vise pas à l'égalité mais à la domination. La différence entre vous et ces peuples intéressants et sympathiques, c'est que vous n'avez pas l'honnêteté de le reconnaître." »

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J'ajoute à la fin le texte original anglais de la citation, tirée du livre Unequal Union de Stanley Ryerson, Progress Books, 1968. Je vois des nuances dans la traduction française mais globalement, je crois qu'elle respecte le sens:

«The truth is, that you British Lower Canadians never can forget that you were once supreme - that Jean Baptiste was your hewer of wood and drawer of water. You struggle, like the Protestant Irish in Ireland, like the Norman invaders in England, not for equality, but ascendancy --- the difference between you and those interesting and amiable people being that you have not the honesty to admit it.»

Jugez vous-mêmes…


lundi 2 janvier 2017

1867-2017. Je me souviens.


La veille du Jour de l'An, attablé avec des amis au restaurant L'arôme, devant le Lac Leamy, tout près des centres-villes de Gatineau et d'Ottawa, je voyais et entendais - au-delà des fenêtres panoramiques, à travers les bourrasques de neige - les feux d'artifice marquant le début des célébrations officielles du 150e anniversaire de la Confédération (1867-2017) sur la Colline parlementaire…

Pendant que le maire d'Ottawa-la-pas-bilingue, Jim Watson, annonçait sur fond de musique hip-hop (canadienne?) que le cent-cinquantième se fêterait avec des événements tels le Red Bull Crashed Ice (ne me demandez pas ce que c'est…) et que des milliers de personnes bravaient la tempête pour assister à la pétarade à 20 h17 au Parlement et applaudir «l'expérience formidable» de la Confédération (expression du G-G),  je mijotais l'avalanche de propagande qui va s'abattre sur nous d'ici le 1er janvier 2018…

«Comment bêler si le troupeau veut rire?», se demandait Louise Forestier dans sa mythique offrande Pourquoi chanter? des années 1970. Au fond, tout le monde aime un bon, gros party, et rien n'irrite ceux et celles qui s'y amusent comme un énergumène qui vient leur demander s'ils savent vraiment pourquoi ils font la fête… Malheureusement, ou heureusement (c'est selon…), voilà une tâche ingrate qui s'impose à qui la vérité historique compte plus que les oraisons de nos lunettes roses…

Il y a 150 ans, en 1867, «commençait toute une aventure», déclarait durant la soirée du 31 décembre le gouverneur général David Johnston. Eh bien voilà ! S'il faut souligner cette 150e année de la fédération, ou plutôt la commémorer, il faut savoir de quelle «aventure» on parle. Jamais notre «Je me souviens» n'aura eu plus d'importance… tant au Québec-foyer-national-mère-patrie que chez les Acadiens et Canadiens français des provinces anglophones et francophobes…

On découvrira vite que 1867 n'était pas le commencement d'une aventure mais un nouveau chapitre dans une histoire qui remontait au début des années 1600. Que le conquérant britannique en place depuis 1760 nous avait assujetti et quand, au 19e siècle, les revendications démocratiques ont érodé les anciens pouvoirs monarchiques, les dés étaient toujours pipés en faveur de la minorité anglaise (devenue majorité après 1851), même au Québec alors appelé Bas-Canada puis Canada-Est…

Après la rébellion des Patriotes en 1837-38, la Grande-Bretagne imposa l'union du Bas-Canada et du Haut-Canada (Ontario), assurant une domination anglaise au Parlement uni même si la population francophone était majoritaire, et obligeant les Québécois à assumer des dettes de l'ancienne législature du Haut-Canada… On décréta aussi l'unilinguisme anglais, en 1840…

Quand le gouvernement représentatif fut acquis après 1848 et que les recensements de 1851 et 1861 établirent que les anglophones étaient devenus majoritaires au Canada, le temps était venu de passer à une démocratie plus évoluée… la représentation selon la population… Il a bien fallu concéder aux francophones une province (le Québec) dans la nouvelle fédération, à compter de 1867, mais comme par hasard, c'est la seule où l'on impose le bilinguisme… Pas question de traiter la réserve francophone comme les autres majorités anglaises (en Ontario, au N.-B. et en N.-É., aucune disposition de l'AANB ne protégeait la langue française).

C'était ça, M. Johnston, le début de votre «aventure». Un pays où l'anglais est assuré partout, même au Québec, et où le français n'a un statut officiel qu'au Québec et au Parlement fédéral… Dans les cinq années suivant la Confédération, les troupes canado-orangistes attaqueraient les Métis au futur Manitoba (en 1869) et le Nouveau-Brunswick abolirait les écoles acadiennes (1871). Voilà comment s'amorceraient les nouveaux volets de notre vielle «aventure»…

Et la prochaine fois que vous chanterez l'Ô Canada en français, M. Johnston, si cela vous arrive, vous songerez au véritable sens des paroles… Cet hymne a été composé en 1880 pour une fête de la Saint-Jean Baptiste, à une époque où les Canadiens, c'étaient nous, les francophones. Les autres, c'étaient les Anglais… La «terre de nos aïeux», en 1880, c'est le bassin du Saint-Laurent, c'est le coeur du Québec, pas Halifax, Toronto ou Saskatoon…

On passera pour le bras qui «sait porter la croix». Vous savez que ça parle des catholiques canadiens-français. «Ton histoire est une épopée». L'histoire de qui? La nôtre. C'est 1880… c'est Champlain, Maisonneuve, Frontenac, Montcalm, Papineau… Pas John A. Macdonald… Pas Wolfe, pas le Vieux brûlot… Et «protégera nos foyers et nos droits», ça évoque «notre» lutte constante contre une domination anglophone aux visées assimilatrices…

Ce n'est pas un chant de fête, c'est un hymne de combat…

J'y reviendrai tout au long de l'année… Il nous faudra faire ce que trop de petits politiciens avides de subventions du 150e n'ont pas fait… Parler beaucoup du véritable sens de cet anniversaire…

Ce sera mieux qu'agiter un petit unifolié, bière en main, au Red Bull Crashed Ice