vendredi 6 janvier 2017

Bilinguisme… Le coeur de pomme...

Photo des archives, Le Droit

Je m'interrogeais sur la valeur du sondage sur le bilinguisme dévoilé par le journaliste Philippe Orfali dans le quotidien Le Devoir quand je suis entré au «Apple Store» du mail commercial Rideau Centre (l'ancien nom bilingue s'est évaporé) à Ottawa, en fin de matinée, hier.

Réalisé par la maison Ad Hoc Recherche de Montréal, ce nième coup de sonde des collectivités francophones et anglophones du Canada semblait, à prime abord, démontrer moins d'enthousiasme pour la dualité linguistique que le sondage publié en octobre 2016 par le Commissariat aux langues officielles, où 84% des répondants se disaient «en faveur» du bilinguisme au pays. Même que 87% disaient vouloir qu'Ottawa soit reconnue comme capitale «officiellement bilingue»…

En attendant de décortiquer les données des recherches d'Ad Hoc et de les comparer aux autres résultats lancés dans les médias depuis le début de la décennie, je me suis tout à coup retrouvé dans mon propre petit «sondage» maison au coeur de la capitale fédérale, dans un magasin ultra fréquenté où une proportion appréciable de la clientèle est francophone, à deux pas de la Basse-Ville ottavienne jadis majoritairement canadienne-française, de la bilingue-bilingual Université d'Ottawa et de la Colline parlementaire, siège de la fédération…

Le personnel du magasin Apple, d'ailleurs fort gentil et serviable, m'accueille en anglais seulement. Pas de surprise là, je n'avais pas vu un mot de français depuis mon arrivée au Rideau Centre à l'exception du nom d'une boutique, Anthropologie… «Parlez-vous français?», dis-je au préposé. De toute évidence, pas suffisamment pour me servir, mais il m'indique - en anglais - qu'on trouvera un employé bilingue pour me servir. «He will be here in one minute», m'assure-t-il.

Je me parque près d'une des nombreuses tables et note la présence d'un assez grand nombre d'employés - une quinzaine peut-être… Certains attendent de servir les clients qui se présenteront… J'en déduis qu'ils sont unilingues anglais, puisqu'on ne les dirige pas vers moi… La minute passe, puis une deuxième, puis cinq, puis dix… Le préposé à l'accueil m'explique que le francophone de service est à l'entrepôt, à l'arrière, et qu'on me l'enverra dès qu'il sera disponible… Je lui remarque que c'est difficile se faire servir en français, ces jours-ci. «That's Ottawa», me répond-il candidement…

J'ajoute aussitôt: «Il n'y a qu'un employé qui parle français?» Il y en aurait peut-être un deuxième, à bien y penser, ajoute-t-il. Son manque de certitude n'est guère rassurant, mais enfin… On verra. J'étais bien décidé à attendre tout l'avant-midi s'il le fallait… contrairement à d'autres francophones que j'ai vus hier. Ceux-là, celles-là ont immédiatement viré à l'anglais (ou s'étaient carrément adressés au préposé en anglais dès le départ). On les reconnaît à l'accent ou au fait qu'ils parlent français à leur compagnon ou compagne s'ils n'entrent pas seuls...

Pendant ce temps, je reste planté là. Les clients se succèdent à l'accueil et sont servis sans délai… en anglais. Des individus qui sont arrivés après moi avaient déjà quitté avec leur achat quand finalement, un type arriva pour me servir dans ma langue officielle que, selon les sondages, une vaste majorité de ses collègues anglophones sont censés apprécier… Pire que ça, je suis dans une ville où, selon le recensement de 2011, le tiers des anglophones disent pouvoir parler français !

Comme celui qui me servait semblait être un francophone de souche (comme un autre de ses collègues que j'ai entendu à une table voisine, traduisant pour une francophone aux prises avec un technicien unilingue anglais), je me suis demandé quelles étaient les probabilités de tomber sur une douzaine de jeunes Anglos tous unilingues dans une ville où l'immersion française semble plus souvent la règle que l'exception… Se pourrait-il que des gens exagèrent leurs prouesses linguistiques en répondant aux questionnaires du recensement fédéral? Et alors, donnent-ils toujours l'heure juste aux sondeurs de Graham Fraser et Mélanie Joly?

Récapitulons. Dans ce qui m'apparaît comme un microcosme de l'ambiance linguistique de la capitale canadienne, j'ai vu un groupe d'anglophones fort sympathiques envers les francophones mais totalement incapables de les servir dans leur langue, des francophones presque tous bilingues acceptant volontiers d'utiliser sans protester l'autre langue officielle, et une situation (sans doute répandue) où il faut insister et attendre pour obtenir - quand cela est possible - des services en français…

Et quand on ajoute que la longue attente d'un service en français a fait gonfler ma facture de stationnement au Rideau Centre, mon insistance a eu pour résultat que le iPad acheté en français pour mon épouse m'a coûté $1,50 de plus… Y'a rien comme la réalité pour mijoter les données d'un sondage sur le bilinguisme.

La réalité, c'est comme un coeur de pomme (même dans un magasin Apple…). C'est là qu'on trouve les pépins…

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NB. Le membre du personnel qui m'a servi en français était impeccable.




2 commentaires:

  1. À une dame de Shawville (Pontiac): "Parlez-vous français? "What?" "Do you speak French?" "Why? They all speak English!" Le journaliste Denis Gratton s'en souvient peut-être...

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  2. Vraiment aucune surprise. J'ai fait la même chose au Royal Canadian Mint à Winnipeg, et j'ai attendu 20 minutes pour avoir une guide francophone pour la visite guidée. Elle était francophone mais avec un fort accent anglophone. C'était durant l'été de 1987, soit il y a 40 ans. Je doute que ce soit mieux aujourd'hui.

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