samedi 11 février 2017

Le français égal à l'anglais, officiellement, à Ottawa? Oh my God...


Bizarre, cet entêtement du maire actuel d'Ottawa, Jim Watson, ne ne pas vouloir reconnaître l'égalité officielle de l'anglais et du français dans la capitale d'un pays officiellement bilingue, capitale par ailleurs située à la frontière biculturelle du pays dans une région où plus de la moitié de la population comprend le français (dont plus du quart des anglophones) et où les francophones forment plus du tiers de la population en comptant l'apport de la ville-soeur, Gatineau...

Aucune raison logique n'est invoquée à l'appui de ce refus perpétuel d'un maire qui se dit pourtant francophile. Il oppose constamment au «bilinguisme officiel» son «bilinguisme fonctionnel» qui répond, croit-il, aux besoins des citoyens anglophones et francophones de cette ville de plus de 900 000 habitants. Je cite le quotidien Le Droit du 26 janvier 2017 (bit.ly/2jViWQ2): «Selon lui (le maire Watson), Ottawa est une ville bilingue. "Nous avons un règlement officiel qui dit que la ville est bilingue", soutient-il.»

Il faut lui donner partiellement raison. Ottawa a bien évolué depuis l'époque où la maire Charlotte Whitton (début des années 60) clamait qu'Ottawa resterait une ville unilingue anglaise pour une quasi-éternité. Mon père était fonctionnaire municipal à Ottawa, et je peux vous assurer, d'expérience personnelle, que les Franco-Ontariens y étaient rarement les bienvenus. Le passé orangiste et francophobe d'une forte proportion des Anglo-Ottaviens s'y manifestait ouvertement...

Aujourd'hui, l'offre de services en français à la municipalité atteint et dépasse parfois les niveaux acceptables. Il existe donc, effectivement, une forme de bilinguisme «fonctionnel», comme l'affirme le maire actuel. Mais on a toujours cette impression que le français est présent seulement quand c'est absolument nécessaire, ou à la suite de pressions publiques ou médiatiques. «L'offre active» en français, pour employer une expression qu'affectionne le Commissaire aux langues officielles, n'est jamais le premier réflexe, ni même le deuxième, dans cette ville...

Dans cette belle capitale soi-disant bilingue, comme par hasard, ce sont toujours les francophones qui se plaignent de services unilingues anglais. En septembre 2016, on faisait état d'un rattrapage à faire dans l'offre d'activités récréatives de la ville (bit.ly/2cHXeLP).  Le mois suivant, on apprenait que 83% des chauffeurs d'autobus étaient incapables de s'exprimer en français (bit.ly/2dZqEKu. Bilinguisme fonctionnel boiteux... Et l'an dernier, quand le «Centre Rideau», le grand mail commercial au coeur de la ville (près du Parlement, très fréquenté par les Franco-Ontariens et Québécois) est devenu le «CF Rideau Centre» (bit.ly/2bGwXkN), on n'a pas vu le conseil municipal monter aux barricades...

Étrangement, tous les sondages officieux et officiels semblent indiquer qu'une majorité de la population régionale (voire du Canada tout entier) favorise le bilinguisme officiel pour la capitale du pays (bit.ly/2dhZXN2). Il y a abondance de francophiles. Mais les élus municipaux restent campés sur la position du maire Watson, et une enquête récente du réseau TFO (bit.ly/2kTsiMU) a découvert que M. le maire était loin d'être isolé au sein de son conseil... Si jamais un vote avait lieu sur cette question, on aurait peut-être droit à des surprises... M. Watson est un vieux routier, il connaît son monde...

On pourrait toujours avancer l'argument que le maire craigne d'éventuelles décisions judiciaires si des francophones, armés d'un statut «officiel» pour le français, décidaient de porter leurs doléances devant les tribunaux. C'est une crainte exagérée, à peine fondée. Dans les plus grandes victoires de francophones hors-Québec (l'hôpital Montfort, la gestion des écoles et des conseils scolaires, etc.), les cours supérieures ne s'appuyaient pas un statut local d'égalité mais sur une interprétation généreuse et élargie de clauses constitutionnelles découlant de la Charte de 1982...

Même au sein de l'appareil fédéral, où l'anglais et le français ont un statut officiel d'égalité, les rapports annuels du Commissaire aux langues officielles sont truffés de plaintes de francophones qui démontrent noir sur blanc que l'égalité officielle ne garantit pas l'égalité réelle... L'ancien Commissaire Keith Spicer affirmait passer 98% de son temps à défendre les francophones...

Alors quoi, que reste-t-il? Pourquoi le maire Watson s'entête-t-il tellement?

Serait-ce ce vieux fond de francophobie très ottavienne, toujours à fleur de peau, héritée de générations passées, de celles qui ont réclamé et soutenu le Règlement 17, qui ont longtemps continué de lancer, à tort et à travers, les appellations «frog» et «speak white», qui ont  froncé les sourcils devant les progrès linguistiques de la francophonie canadienne dans les années 60, qui se sont toujours fait arracher les moindres concessions comme une molaire (certainement pas une dent de sagesse...) chez le chirurgien-dentiste... Ceux pour qui (lisez les pages de commentaires dans les journaux anglais...), ceux pour qui, dis-je, le peuple vaincu de 1759 ne peut, d'aucune façon, être traité officiellement en égal au vainqueur...

Pour encore bien trop d'anglophones de la capitale, cette ville est et restera anglaise, la capitale d'un pays tout aussi anglais (espèrent-ils) où l'on tolère une réserve française (préférablement bilingue) dans la «province» de Québec. Mais hors-Québec, même à Ottawa, capitale d'un pays officiellement bilingue, voisine d'une région très majoritairement francophone du Québec, au coeur d'une des régions les plus francophones de l'Ontario, il est difficile voire impensable, pour plusieurs, de reconnaître à la langue française un statut officiel égal à celui de l'anglais, et d'agir en conséquence dans l'administration municipale.

Ottawa ne respecte même pas sa propre politique de bilinguisme quand ça lui chante. Quand arrêtera-t-on d'embaucher des cadres supérieurs unilingues anglais (bit.ly/1SLTuuh) - en contravention de la politique de bilinguisme actuelle? À chaque fois, le conseil déclare une exemption, mais au rythme où vont les choses, l'exception devient vite la règle... Exiger compétence et connaissance de la langue française, à Ottawa, c'est une culture en terreau infertile.

L'impression qui prend forme, l'avenir le dira, c'est qu'il est viscéralement impossible pour ce maire et pour plusieurs conseillers (combien?) de reconnaître officiellement l'égalité juridique et réelle de la langue française. C'est dans leurs tripes... Il leur faudra toujours conserver, peu importe le nombre de concessions, ce petit quelque chose qui fait que le français reste au moins légèrement inférieur à l'anglais. Ils conserveront, pour les grandes décisions, LE vote prépondérant. Et ce ne sont pas les supplications des thuriféraires du 150e anniversaire de la Confédération ou du mouvement Ottawa bilingue qui les feront changer d'idée...

Peut-être comptent-ils, au fond, avec les taux actuels d'assimilation et la réduction de la proportion de francophones, tant à Ottawa qu'au Canada, que le problème finisse par disparaître...



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