vendredi 23 juin 2017

Bonne fête à nous !


En ce 24 juin, la nation se dit à nouveau «Bonne fête»!

La table est mise partout, et tous, toutes y sont bienvenus.

Notre hospitalité est légendaire...

Il y a plus de 400 ans, arrivant de France, nous étions accueillis par les peuples d'Amérique.

La liberté, le partage, les grands espaces font partie de l'héritage commun.

Notre présence - française et métissée - aura marqué à jamais les rives et les affluents du «fleuve géant».

Elle mérite d'être conservée, appréciée, enseignée.

Même conquis, nous avons su porter l'épée. Nous avons, surtout, porté la croix.

Pacifiques, rebelles à notre façon, nous avons jeté l'épée, puis remisé la croix.

Le coeur de la nation, s'éloignant de l'ancienne mère-patrie, restait français cependant...

Ces derniers siècles, d'autres ont pris place à notre table…

Des Européens, Africains, Antillais, Asiatiques, Américains…

Plusieurs ont voulu cheminer avec nous et sont maintenant chez eux, à notre table.

Notre aventure en Amérique est devenue la leur…

Ils ont compris ce que trop des nôtres semblent avoir oublié:

   - l'importance et l'attrait de notre petite nation encerclée… de son passé, son présent et son avenir...

   - l'actualité des valeurs de survivance, résistance, rébellion, liberté, laïcité, indépendance…

   - la beauté de la langue française, bien vivante dans notre riche répertoire musical et littéraire…

Ces anciens étrangers ont compris qu'ils étaient invités à notre table, pas nous à la leur.

Que les bras tendus en accueil étaient les nôtres…

Ils ont saisi ce que les «multiculturels» semblent incapables de saisir…

S'ouvrir collectivement à l'autre, c'est l'inviter à venir vers soi.

On ne fait pas preuve d'ouverture en souscrivant aux coutumes des autres, mais en conviant les autres à notre table…

Leur présence enrichira la nôtre et modifiera peu à peu la texture de la nation, sans en altérer le coeur et les valeurs.

Alors je leur lance cette intitation: venez casser la croute à la grande tablée de la Saint-Jean!

À la fin du repas et de la fête, si vous désirez toujours participer à notre aventure nationale, si vous choisissez de la faire vôtre, nous chanterons tous, toutes, sur un air connu:

«Ils sont des nôtres»…

mercredi 21 juin 2017

La survie des Anglos? Plutôt la survie des Francos...

La semaine dernière, les médias annonçaient que le gouvernement Couillard, et notamment le ministre Jean-Marc Fournier, s'inquiétaient de voir les petites communautés anglophones du Québec (hors-Montréai) assimilées par la majorité francophone (voir bit.ly/2sTPWzr).

Dans une lettre envoyée à sa collègue fédérale Mélanie Joly, M. Fournier affirme que l'isolement des communautés anglophones ailleurs que dans la métropole «rend difficile la transmission de leur langue et de leur culture»...

J'imagine que cela pourrait être un motif d'inquiétude valable, si seulement c'était vrai...

Quelques jours plus tard, la chroniqueure Lise Ravary, du Journal de Montréal, en rajoute dans un texte intitulé La survie des Anglos (voir bit.ly/2rDhAvs)... Au-delà des amalgames perfides au sujet des défenseurs de la langue française au Québec, son texte est truffé d'erreurs. La «réalité» qu'elle décrit n'existe tout simplement pas. Ou elle ne s'est pas informée, ou on l'a mal informée... Le résultat reste le même...

Mme Ravary va jusqu'à nommer des localités à titre d'exemples dont New Carlisle en Gaspésie; Grosse-Île aux Îles-de-la-Madeleine; Bristol et Clarendon dans le Pontiac; Chelsea (au nord de Gatineau) identifiée erronément comme municipalité du Pontiac mais en réalité dans la couronne de Gatineau; et Blanc-Sablon...

À l'exception de Chelsea, presque une banlieue de la grande région de la capitale fédérale, majoritairement anglophone, il est exact que ces communautés sont éloignées de la masse anglophone montréalaise. Mais il est faux de prétendre que leur langue soit en danger.

C'est plutôt le contraire! Ce sont les francophones de ces municipalités qui se font assimiler, si on se fie aux chiffres très officiels du recensement fédéral de 2011. Et le gouvernement Couillard, s'il veut s'inquiéter de langue et de culture, ferait mieux de prêter main forte aux minorités francophones de ces localités, lentement absorbées par la majorité anglophone qui les entoure...

Expliquons d'abord comment on mesure les transferts linguistiques (l'assimilation). La méthode n'est pas parfaite, mais elle permet de brosser un tableau réaliste de la dynamique linguistique d'une municipalité, d'une région, d'une province ou du pays. On compare les données sur la langue maternelle à celles de la langue d'usage (la langue la plus souvent utilisée à la maison).

Supposons une municipalité de 1000 habitants: 500 de langue maternelle anglaise, 500 de langue maternelle française. S'il y a plus de 500 personnes parlant le plus souvent l'anglais à la maison, on peut conclure à l'existence de transferts linguistiques vers l'anglais. Des francophones s'assimilent. Si plus de 500 habitants ont le français comme langue d'usage, des anglophones se francisent...

Jetons un coup d'oeil sur les municipalités que mentionne Lise Ravary...

New Carlisle est entourée de municipalités francophones, mais a une population majoritairement anglophone (environ 57%). Le recensement fédéral de 2011 indique 770 personnes de langue maternelle anglaise, et 825 dont la langue d'usage est l'anglais ! Il s'y trouve 455 personnes de langue maternelle française, mais seulement 415 qui indiquent avoir le français comme langue d'usage...

On peut donc conclure qu'au coeur de la Gaspésie francophone, dans une municipalité à majorité anglaise, ce sont les francophones qui se font assimiler, pas les anglophones... D'ailleurs, selon le recensement, près de 500 des 770 anglos sont restés unilingues... La grande majorité des bilingues sont de langue maternelle française... «So much» pour la difficulté des anglophones à transmettre leur langue... Ils n'ont même pas besoin du français...

Grosse-Île est la principale localité de langue anglaise aux Îles-de-la-Madeleine. Population totale: 490, dont 430 habitants de langue maternelle anglaise... et les trois quarts d'entre eux (330) sont unilingues... Encore là, ce sont les francophones qui se font assimiler, la moitié d'entre eux (25 sur 50) déclarant l'anglais comme principale langue d'usage à la maison...

C'est la minorité française de Gross-Île qui est en train de s'éteindre... Mais Jean-Marc Fournier ne semble pas s'en faire de soucis...

Bristol et Clarendon sont situées au coeur anglophone de la région du Pontiac, à l'ouest de Gatineau. C'est une région où le français a été malmené depuis plus de 100 ans, et où les églises catholiques françaises sous toujours soumises au diocèse anglophone et souvent francophobe de Pembroke, Ontario.

Contrairement à ce que laisse entendre Lise Ravary, c'est un terreau fertile pour les angryphones. Quand des inspecteurs de l'Office de la langue française s'y sont présentés en 1999 (à Shawville, je crois...) pour vérifier le non-respect de la Loi 101, ils ont été chassés (littéralement) par les résidents...

Bristol compte 830 habitants de langue maternelle anglaise, et 265 de langue maternelle française. Mais quand on vérifie la langue d'usage, on y trouve 910 personnes qui utilisent le plus souvent l'anglais à la maison, contre seulement 210 à la case «français». Un gain de 10% pour les anglos, mais une perte de 21% pour les francos... Et notez que 655 anglophones sont unilingues!

À Clarendon, c'est pire. Près de la moitié des francophones déclarent utiliser le plus souvent l'anglais à la maison. Un taux d'assimilation faramineux ! Et 825 des 1183 habitants de la localité ne connaissent que l'anglais... Je vous le demande: quelle langue est en danger dans ces deux localités: le français ou l'anglais? Hein, M. Fournier? Mme Ravary?

Blanc-Sablon est la municipalité la plus à l'est du Québec. Encore plus à l'est que Corner Brook, Terre-Neuve. Elle est située à quelques kilomètres de la frontière du Labrador. Elle compte 740 anglophones (langue maternelle) et 315 francophones (langue maternelle). Quand on jette un coup d'oeil aux données sur la langue d'usage, le nombre d'anglos grimpe à 815 et le nombre de francophones chute à 245. Un taux d'assimilation de plus de 20%. Et encore là, plus de la moitié des anglophones sont unilingues...

L'inclusion de Chelsea dans sa liste était une erreur, n'étant pas une communauté isolée des grands centres anglophones. Elle compte d'ailleurs près de 7000 habitants et est en croissance, contrairement aux petites municipalités éloignées. Et officiellement, les francophones sont plus nombreux que les anglophones, selon le critère de la langue maternelle: 3275 contre 3170... Cependant, si on regarde la langue d'usage, on renverse la situation, avec 3580 personnes qui déclarent utiliser l'anglais le plus souvent à la maison, pour 3130 francophones. Un gain de 12% pour l'anglais, et une perte de près de 5% pour le français.

Encore ici, la dynamique linguistique favorise les anglophones...

Voici un tableau instructif... des endroits où l’on prétend l’anglais en danger…

New Carlisle
LMA (en %)
LUA (en %)
Unilingues anglais

(Gaspésie)
56,7
60,8
495


LMF (en %)
LUF (en %)
Bilingues


33,5
30,6
570






Grosse-Île
LMA
LUA
Unilingues anglais

Îles de la Madeleine
87,8%
91,8%
335


LMF
LUF
Bilingues


10,2%
5,1%
145




Bristol
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Pontiac)
73,6%
80,7%
655

LMF
LUF
Bilingues

23,5%
18,6%
425




Clarendon
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Pontiac)
84,1%
91,3%
825

LMF
LUF
Bilingues

12,7%
6,8%
345




Blanc-Sablon
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Basse-Côte-Nord)
66,2%
72,9%
410

LMF
LUF
Bilingues

28,2%
21,9%
635




Chelsea
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Gatineau)
45,4%
51,3%
1530

LMF
LUF
Bilingues

46,9%
44,9%
4755


LMA – Langue maternelle anglaise
LMF – Langue maternelle française
LUA – Anglais langue d’usage (la plus souvent parlée à la maison)
LUF – Français langue d’usage (la plus souvent parlée à la maison)

Données du recensement fédéral de 2011. Les données pour 2016 seront disponibles à l’automne 2017.








lundi 12 juin 2017

150 ans de «joie de vivre»? Vraiment?


Dans le quotidien Le Droit de la semaine dernière, la ville de Gatineau (http://www.gatineau2017.ca/fr/) avait inséré un bel encart papier glacé intitulé «2017 Gatineau - Célébrons 150 ans de joie de vivre!».

Comme ce cahier spécial avait pour but de fêter le 150e anniversaire de la Confédération canadienne, il faut nécessairement comprendre que cette «joie de vivre» doit être intimement liée au cent-cinquantenaire de la fédération... Les coprésidents du Comité du 150e de Gatineau le disent très clairement: «Ensemble, célébrons nos 150 ans de joie de vivre au Canada.»

La persécution des minorités canadiennes-françaises et acadiennes, la pendaison de Riel, les invasions du Québec par l'armée canadienne pour mater la révolte contre la conscription de 1918 et emprisonner 500 innocents en octobre 1970, la nuit des longs couteaux de 1981, les manoeuvres contre l'Accord de Meech et les multiples illégalités contre le mouvement indépendantiste, tout cela doit-il témoigner de notre «joie de vivre» dans ce régime?

Dans toutes les activités gatinoises liées à cette «fête», rien - absolument rien - n'a pour but de commémorer les luttes des francophones pour faire valoir leurs droits - tant celles des Franco-Ontariens à quelques pas, dans la Basse-Ville d'Ottawa, qui se battaient sur conserver leurs écoles françaises, que le calvaire des voisins pontissois francophones soumis au fouet des évêques anglophones du diocèse ontarien de Pembroke. De fait, on nous invite béatement à participer à une série d'activités qu'on aurait pu présenter à peu près n'importe quand, 150e ou pas...

Allez m'expliquer ce que le Festibière se Gatineau 2017 a à voir avec l'histoire de la Confédération... ou le Festival interculturel de Gatineau... ou un pique-nique sur le pont Interprovincial le 2 juillet... ou les Merveilles de sables, qui reviennent chaque année... ou le Festival d'humour de Gatineau... ou la production américaine Grease... ou les Grands feux du Casino (même si on annonce une édition spéciale 150...)... ou encore le Festival des montgolfières de Gatineau, un événement annuel depuis la fin des années 1980...

Les seules activités à caractère historique annoncées, sous le titre «Un patrimoine à découvrir», incluent la Journée internationale des archives (une présentation du gouvernement fédéral), et des visites historiques dans le Vieux Hull qui, quoique fort intéressantes et louables, n'ont vraiment aucun rapport avec l'évolution de la Confédération canadienne depuis 1867...

Et pourtant, on aurait certainement pu identifier des événements et des personnes qui ont marqué les 150 années du Canada tel qu'on le connaît... Les péripéties de Louis Riel à Hull et Pointe-Gatineau alors qu'il tentait de siéger aux Communes, traqué par des détectives orangistes... Les expropriations d'il y a près de 50 ans pour installer des tours fédérales sur d'anciens quartiers ouvriers de Hull... Les manigances (ratées) pour inclure Hull-Gatineau-Aylmer dans un district fédéral séparé du Québec et de l'Ontario... Les faits saillants de la carrière de nos députés fédéraux depuis 1967...

J'écrivais dans un texte de blogue de l'an dernier (http://pierreyallard.blogspot.ca/2016/05/gatineau-2017-feter-150-ans-en-oubliant.html): «À voir ce qui se passe jusqu'à maintenant, on risque d'avoir droit à des festivités, mais bien peu de commémoration» du siècle et demi de la Confédération canadienne. On m'avait alors répondu que le volet commémoratif aurait de l'importance, et que je serais en mesure de mieux juger de l'affaire quand tous les projets seraient annoncés en 2017...

Eh bien voilà... Sortez vos petits unifoliés rouge et blanc et agitez les en chantant votre «joie de vivre» dans ce beau et grand bilingue pays où la justice linguistique a toujours régné et continue de régner (quoiqu'en disent les Commissaires aux langues officielles...). Ne lisez pas de livre d'histoire du Canada ou du Québec. Ne vous renseignez pas. Encore mieux, ne pensez pas. Et surtout ne chiâlez pas... On ne voudrait pas être les «casseux» d'un si beau party...




vendredi 9 juin 2017

L'importance du Bloc québécois à Ottawa...

Mon texte de blogue de 2011, après la vague orange, sur l'importance du Bloc québécois. Je crois qu'il reste actuel...

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mardi 29 novembre 2011


Désormais : sans le Bloc québécois, qui nous représentera à Ottawa?

Si j’ai appuyé le Bloc québécois le 2 mai dernier, ce n’est certainement pas parce qu’il a mené une bonne campagne. Au contraire, le parti avait trop tenu pour acquis son 40% d’électorat et sa cinquantaine de sièges. La poussée inattendue du Nouveau Parti démocratique a pris les ténors du Bloc par surprise et les a obligés à une remise en question en pleine campagne. La dernière publicité vidéo du Bloc québécois avant l'élection, fort belle, témoignait de cette prise de conscience tardive, de cette perte de contact avec sa raison d’être et avec sa base (http://bit.ly/1krsoBP).

Presque rayé de la carte, le Bloc broie du noir. L’avenir est sombre. Disparaîtra-t-il? Peut-être. Peut-être pas. Mais quoiqu’il advienne, ce ne sera pas uniquement à cause d’une seule campagne électorale mal avisée. Si le Bloc québécois existait depuis 20 ans, c’est qu’il était nécessaire. Depuis 1867, les francophones de ce pays, regroupés très majoritairement au Québec, se considèrent à juste titre comme une nation. Or, dans le cadre du régime politique fédéral, et ce, depuis 1867, les aspirations collectives des Canadiens français n’avaient jamais été représentées au Parlement canadien.

À la base, depuis l’instauration du suffrage universel, chaque électeur vote en faveur d’un candidat qui représente, peu importe son parti, tous les citoyens de sa circonscription. Comme la majorité des citoyens du Canada sont anglophones, la majorité des députés le sont aussi. Rien de plus normal. Ainsi, dans tous les partis pancanadiens, sauf exception (le NPD actuel par exemple), les députés francophones sont minoritaires. Rien de plus normal. Il en résulte cependant que nos revendications collectives, au palier fédéral, seront toujours soumises à l’approbation de la majorité anglophone du Parlement et du pays.

Au Parlement canadien, nous ne contrôlons pas notre sort collectif. On peut demander, négocier, menacer… mais pas décider. Cette prérogative appartient à la majorité. Rien de plus normal. Quand francophones et anglophones sont d’accord, tant mieux. Quand ils le ne sont pas, les Anglo-Canadiens décident. Rien de plus normal. C’est ainsi que fonctionne la démocratie. Le Québec, seul gouvernement à majorité francophone, peut incarner les aspirations collectives dans sa juridiction (et encore…) mais à la table fédérale-provinciale, il n’est qu’un sur onze. Sur la scène internationale, presque rien.

Depuis 1867, la discrimination, voire la persécution, dont les francophones ont été victimes dans les provinces à majorité anglophone a fait son œuvre. Érodée, la vieille nation canadienne-française est devenue aujourd’hui, par la force des choses, québécoise. Le Québec est devenu un État national, reconnu récemment par les Communes, et peut réclamer à ce titre le droit d’exprimer les aspirations nationales des Québécois (et un peu aussi des francophones limitrophes). Les partis fédéralistes à Québec incarnent ces aspirations tout autant que les partis souverainistes, les premiers dans le cadre du régime canadien, les seconds dans le cadre d’une éventuelle souveraineté-association.

Si le Québec réalise son indépendance, le grand enjeu national est plus ou moins réglé. Mais tant que les Québécois accepteront de vivre dans le régime fédéral, la question de la représentation « nationale » des Québécois – et des francophones des autres provinces – au Parlement canadien continue de se poser. À titre de nation, nous pouvons revendiquer l’égalité, nous sommes « une de deux », même si nous restons minoritaires sur le plan démographique. Mais cette égalité binationale, les formations politiques traditionnelles ne l’ont jamais reconnue et ne la reconnaîtront jamais à moins d’une menace de rupture imminente du pays.

Le Bloc québécois a incarné, à l’instar des autres partis, les attentes et les besoins de tous les électeurs des circonscriptions qu’il représente. Ses députés ont participé comme tous les autres au processus parlementaire. Ils ont défendu leurs dossiers dans tous les secteurs de juridiction fédérale : économie, environnement, fiscalité, relations internationales, etc. Mais ils l’ont fait en français, et ils ont fait valoir la position qu’auraient prise les Québécois, eussent-ils été en mesure de décider. Ils acceptent, à Ottawa, d’œuvrer loyalement dans l’Opposition tant que le régime ne changera pas. C’est une position tout à fait réaliste.

L’illusion, c’est de croire que la présence de trente, cinquante ou même soixante députés québécois au sein du Parti conservateur, du Parti libéral ou du NPD donnera aux Québécois et aux francophones un droit de décision additionnel. L’expérience du passé démontre le contraire. Jusqu’aux années soixante, jusqu’à la menace « séparatiste », les députés et ministres québécois jouaient largement des rôles subalternes. Ils n’occupaient pas les leviers du pouvoir. Ceux qui émergé depuis – Trudeau, Chrétien, Mulroney, etc. – n’ont fondamentalement rien changé au régime.

Le choix du 2 mai, pour moi, était le suivant : élire des députés fédéralistes obligés de composer avec une majorité anglo-canadienne ou élire des députés du Bloc qui seraient libres de nous défendre, individuellement et collectivement, et de faire la promotion de points de vue qui émanent de notre collectivité. Nous sommes différents et avons pleinement le droit d’exprimer cette différence au Parlement canadien. Si cela peut sembler irritant et un peu dysfonctionnel, tant pis. Nous concédons aux autres le pouvoir auquel ils auraient droit de toute façon, étant majoritaires, et nous contentons pour l’instant de participer avec honneur et dignité à un régime qui finira par se transformer… ou que nous quitterons.

Si tout cela semble bien abstrait, je vous convie au prochain débat important qui opposera le Québec au reste du pays, ou opposant les francophones à la majorité anglo-canadienne. Quand le gouvernement en place – qu’il soit conservateur, libéral ou néo-démocrate – nous opposera une fin de non-recevoir, il dira au Québec : voyez, nous avons sur nos bancs des dizaines de députés que vous avez élus sous notre bannière. Ils ont la même légitimité que les députés de l’Assemblée nationale du Québec. Trudeau, Chrétien et les autres ont fait ça souvent depuis les années soixante.

Avec une majorité de députés du Bloc québécois aux Communes, ils n’avaient plus ce luxe. De plus, le gouvernement avait devant lui un groupe québécois qui s’exprimait librement au lieu de servir d’écho ou d’estampille aux décisions ministérielles. Et le Bloc s’exprimait en français. Pour la première fois peut-être, la Chambre des Communes est devenue véritablement bilingue... et biculturelle. Elle l’est moins depuis le 2 mai. Qu’on le veuille ou pas, le débat sur l’avenir du français et sur le statut du Québec au sein de la Confédération restera fondamental mais il traîne en longueur et personne ne semble voir la lumière au bout du tunnel. L’usure qu’il engendre est celle qui a miné le Bloc… et qui menace le PQ.

La vague orange a semblé un moment entrouvrir des portes qui étaient fermées. Un espoir de changement, avec le fédéralisme asymétrique proposé par Jack Layton. Mais les bonnes intentions du regretté Jack seront sans doute très vite rappelées à l’ordre par une majorité anglo-canadienne pour qui la moindre concession au Québec est toujours une concession de trop. Il n’y aura même pas de lune de miel.

Avec le gouvernement actuel, c’est le retour en force de l’unilinguisme anglais, la résurrection des traditions royalistes britanniques et l’affirmation de valeurs sociales et économiques qui nous sont étrangères. Le Bloc a beau être au purgatoire depuis le 2 mai, il reste plus que jamais pertinent. Les problèmes qui ont suscité sa création demeurent, et les élus qui ont remplacé les députés bloquistes occupent une position affaiblie. Le malheur, c’est qu’il nous faudra peut-être quelques années pour nous en rendre pleinement compte.

J’ai appuyé le Bloc parce qu’il est essentiel. Parce que comme Québécois francophone originaire de la capitale canadienne, comme ancien militant des causes franco-ontariennes, je m’y reconnais. Parce que sur la scène fédérale, le Bloc correspond le mieux aux aspirations pacifiques et social-démocrates de notre petite nation en devenir et en péril. Sans lui, qui «nous» représentera à Ottawa en attendant, comme peuple, de pouvoir faire mieux? Il ne faut surtout pas retourner une fois de plus à la case départ! Au rythme actuel de l’érosion de nos effectifs et de notre culture, le temps commencera très bientôt à manquer.