mercredi 21 juin 2017

La survie des Anglos? Plutôt la survie des Francos...

La semaine dernière, les médias annonçaient que le gouvernement Couillard, et notamment le ministre Jean-Marc Fournier, s'inquiétaient de voir les petites communautés anglophones du Québec (hors-Montréai) assimilées par la majorité francophone (voir bit.ly/2sTPWzr).

Dans une lettre envoyée à sa collègue fédérale Mélanie Joly, M. Fournier affirme que l'isolement des communautés anglophones ailleurs que dans la métropole «rend difficile la transmission de leur langue et de leur culture»...

J'imagine que cela pourrait être un motif d'inquiétude valable, si seulement c'était vrai...

Quelques jours plus tard, la chroniqueure Lise Ravary, du Journal de Montréal, en rajoute dans un texte intitulé La survie des Anglos (voir bit.ly/2rDhAvs)... Au-delà des amalgames perfides au sujet des défenseurs de la langue française au Québec, son texte est truffé d'erreurs. La «réalité» qu'elle décrit n'existe tout simplement pas. Ou elle ne s'est pas informée, ou on l'a mal informée... Le résultat reste le même...

Mme Ravary va jusqu'à nommer des localités à titre d'exemples dont New Carlisle en Gaspésie; Grosse-Île aux Îles-de-la-Madeleine; Bristol et Clarendon dans le Pontiac; Chelsea (au nord de Gatineau) identifiée erronément comme municipalité du Pontiac mais en réalité dans la couronne de Gatineau; et Blanc-Sablon...

À l'exception de Chelsea, presque une banlieue de la grande région de la capitale fédérale, majoritairement anglophone, il est exact que ces communautés sont éloignées de la masse anglophone montréalaise. Mais il est faux de prétendre que leur langue soit en danger.

C'est plutôt le contraire! Ce sont les francophones de ces municipalités qui se font assimiler, si on se fie aux chiffres très officiels du recensement fédéral de 2011. Et le gouvernement Couillard, s'il veut s'inquiéter de langue et de culture, ferait mieux de prêter main forte aux minorités francophones de ces localités, lentement absorbées par la majorité anglophone qui les entoure...

Expliquons d'abord comment on mesure les transferts linguistiques (l'assimilation). La méthode n'est pas parfaite, mais elle permet de brosser un tableau réaliste de la dynamique linguistique d'une municipalité, d'une région, d'une province ou du pays. On compare les données sur la langue maternelle à celles de la langue d'usage (la langue la plus souvent utilisée à la maison).

Supposons une municipalité de 1000 habitants: 500 de langue maternelle anglaise, 500 de langue maternelle française. S'il y a plus de 500 personnes parlant le plus souvent l'anglais à la maison, on peut conclure à l'existence de transferts linguistiques vers l'anglais. Des francophones s'assimilent. Si plus de 500 habitants ont le français comme langue d'usage, des anglophones se francisent...

Jetons un coup d'oeil sur les municipalités que mentionne Lise Ravary...

New Carlisle est entourée de municipalités francophones, mais a une population majoritairement anglophone (environ 57%). Le recensement fédéral de 2011 indique 770 personnes de langue maternelle anglaise, et 825 dont la langue d'usage est l'anglais ! Il s'y trouve 455 personnes de langue maternelle française, mais seulement 415 qui indiquent avoir le français comme langue d'usage...

On peut donc conclure qu'au coeur de la Gaspésie francophone, dans une municipalité à majorité anglaise, ce sont les francophones qui se font assimiler, pas les anglophones... D'ailleurs, selon le recensement, près de 500 des 770 anglos sont restés unilingues... La grande majorité des bilingues sont de langue maternelle française... «So much» pour la difficulté des anglophones à transmettre leur langue... Ils n'ont même pas besoin du français...

Grosse-Île est la principale localité de langue anglaise aux Îles-de-la-Madeleine. Population totale: 490, dont 430 habitants de langue maternelle anglaise... et les trois quarts d'entre eux (330) sont unilingues... Encore là, ce sont les francophones qui se font assimiler, la moitié d'entre eux (25 sur 50) déclarant l'anglais comme principale langue d'usage à la maison...

C'est la minorité française de Gross-Île qui est en train de s'éteindre... Mais Jean-Marc Fournier ne semble pas s'en faire de soucis...

Bristol et Clarendon sont situées au coeur anglophone de la région du Pontiac, à l'ouest de Gatineau. C'est une région où le français a été malmené depuis plus de 100 ans, et où les églises catholiques françaises sous toujours soumises au diocèse anglophone et souvent francophobe de Pembroke, Ontario.

Contrairement à ce que laisse entendre Lise Ravary, c'est un terreau fertile pour les angryphones. Quand des inspecteurs de l'Office de la langue française s'y sont présentés en 1999 (à Shawville, je crois...) pour vérifier le non-respect de la Loi 101, ils ont été chassés (littéralement) par les résidents...

Bristol compte 830 habitants de langue maternelle anglaise, et 265 de langue maternelle française. Mais quand on vérifie la langue d'usage, on y trouve 910 personnes qui utilisent le plus souvent l'anglais à la maison, contre seulement 210 à la case «français». Un gain de 10% pour les anglos, mais une perte de 21% pour les francos... Et notez que 655 anglophones sont unilingues!

À Clarendon, c'est pire. Près de la moitié des francophones déclarent utiliser le plus souvent l'anglais à la maison. Un taux d'assimilation faramineux ! Et 825 des 1183 habitants de la localité ne connaissent que l'anglais... Je vous le demande: quelle langue est en danger dans ces deux localités: le français ou l'anglais? Hein, M. Fournier? Mme Ravary?

Blanc-Sablon est la municipalité la plus à l'est du Québec. Encore plus à l'est que Corner Brook, Terre-Neuve. Elle est située à quelques kilomètres de la frontière du Labrador. Elle compte 740 anglophones (langue maternelle) et 315 francophones (langue maternelle). Quand on jette un coup d'oeil aux données sur la langue d'usage, le nombre d'anglos grimpe à 815 et le nombre de francophones chute à 245. Un taux d'assimilation de plus de 20%. Et encore là, plus de la moitié des anglophones sont unilingues...

L'inclusion de Chelsea dans sa liste était une erreur, n'étant pas une communauté isolée des grands centres anglophones. Elle compte d'ailleurs près de 7000 habitants et est en croissance, contrairement aux petites municipalités éloignées. Et officiellement, les francophones sont plus nombreux que les anglophones, selon le critère de la langue maternelle: 3275 contre 3170... Cependant, si on regarde la langue d'usage, on renverse la situation, avec 3580 personnes qui déclarent utiliser l'anglais le plus souvent à la maison, pour 3130 francophones. Un gain de 12% pour l'anglais, et une perte de près de 5% pour le français.

Encore ici, la dynamique linguistique favorise les anglophones...

Voici un tableau instructif... des endroits où l’on prétend l’anglais en danger…

New Carlisle
LMA (en %)
LUA (en %)
Unilingues anglais

(Gaspésie)
56,7
60,8
495


LMF (en %)
LUF (en %)
Bilingues


33,5
30,6
570






Grosse-Île
LMA
LUA
Unilingues anglais

Îles de la Madeleine
87,8%
91,8%
335


LMF
LUF
Bilingues


10,2%
5,1%
145




Bristol
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Pontiac)
73,6%
80,7%
655

LMF
LUF
Bilingues

23,5%
18,6%
425




Clarendon
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Pontiac)
84,1%
91,3%
825

LMF
LUF
Bilingues

12,7%
6,8%
345




Blanc-Sablon
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Basse-Côte-Nord)
66,2%
72,9%
410

LMF
LUF
Bilingues

28,2%
21,9%
635




Chelsea
LMA
LUA
Unilingues anglais
(Gatineau)
45,4%
51,3%
1530

LMF
LUF
Bilingues

46,9%
44,9%
4755


LMA – Langue maternelle anglaise
LMF – Langue maternelle française
LUA – Anglais langue d’usage (la plus souvent parlée à la maison)
LUF – Français langue d’usage (la plus souvent parlée à la maison)

Données du recensement fédéral de 2011. Les données pour 2016 seront disponibles à l’automne 2017.








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