vendredi 15 septembre 2017

Il y a 50 ans, Tex...


Depuis 50 ans que je conservais cet enregistrement, que je me proposais d'offrir à Tex Lecor avant la fin de l'année s'il en voulait bien. Mais il est mort trop tôt...

Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, aurait chanté Aznavour... De 1967, de l'année de l'Expo et du général De Gaulle. J'avais 21 ans. Franco-Ontarien, étudiant en science politique à l'Université d'Ottawa, mon regard fixait de plus en plus la scène québécoise...

Nous dévorions les pages du Devoir, ainsi que des revues indépendantistes comme Parti Pris et Maintenant, et on vibrait aux chansons de Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Pauline Julien, Raymond Lévesque et bien d'autres...

Il existait à cette époque une boîte à chansons à Ottawa, le Bistro 150, situé entre le quartier canadien-français de la Basse-Ville et la ville francophone voisine de Vanier, où plusieurs de ces vedettes du Québec étaient présentées en spectacle dans un sous-sol d'église où les tables étaient couvertes de nappes à carreaux et de cierges dans des bouteilles de chianti...

Photo au Bistro 150, avec la nappe à carreaux et le cierge dans le Chianti...

Or, le 16 décembre 1967, quelques jours avant les vacances de Noël, le Bistro proposait à son auditoire une prestation de Tex (de son vrai nom Paul Lecorre). Tex jurait un peu dans le décor des chansonniers. Comme un diamant qu'on aurait négligé de polir... De fait, il était carrément impoli...

Avec des chansons comme Avez-vous vu ma truieL'art de savoir pisser et Tuberculose, il faisait nettement bande à part. et sa langue n'était pas tout à fait celle de l'Académie française... «Au diable les grands mots, lançait-il à la salle, vive les bines et le sirop»... Quant à ses commentaires parfois crus, il ajoutait: «Je dis tout haut ce que vous pensez»...

En cette soirée du 16 décembre, j'avais une demande spéciale pour Tex, celle de capter son spectacle avec mon enregistreuse Sony toute neuve... Une enregistreuse à bobines, que les jeunes de 20 ans ne peuvent pas connaître... Ma demande a été transmise à l'artiste par Jean-Claude Carisse, un des dirigeants du Bistro. Non seulement Tex a-t-il accepté, mais il a enrubanné mon micro autour du sien pour assurer la meilleure qualité sonore possible...

Il en est résulté un magnifique enregistrement «live» qui est devenu, un demi-siècle plus tard, un document audio aussi historique que musical, avec ses blagues et anecdotes de la Révolution tranquille... L'ironie, c'est que ce spectacle nationaliste et indépendantiste québécois ait été livré en Ontario, devant un auditoire franco-ontarien des plus enthousiastes...

Son tour de scène finissait d'ailleurs avec la chanson qu'on a par la suite appelée Patriotes, mais que Tex avait alors baptisée La redoute.... et dans laquelle il lançait «Aux armes Québécois» au coeur de la capitale canadienne...

À partir des années 1970, Tex s'est surtout illustré comme peintre et comme vedette de la télévision. Je ne sais pas combien d'enregistrements de spectacles des années 1960 il possédait, mais j'aurais bien aimé lui offrir celui que j'ai depuis 1967, si ce n'est que pour lui rappeler cette soirée-là et ses 34 ans...

J'aime croire que si l'au-delà existe, il doit avoir imité son Jos Brûlé des années 1960. «On danse plus chez Jos Brûlé, chantait-il. Le bonhomme nous a quittés... mais faut croire que la haut ca doit swinger, y doit y avoir organisé les anges qui voulaient danser»...

Pour moi, Tex sera toujours avant tout - du moins pour ce qui reste de mes jours - un chansonnier. Il sera ce personnage que j'ai vu et entendu à Ottawa il y a près de 50 ans, et qui m'a laissé le plus précieux des cadeaux... cet enregistrement irremplaçable d'un spectacle exceptionnel...


Je conserve tout aussi précieusement deux de ses albums vinyles, Mes premières chansons no:1 (début années 1960), et Chansons interdites à la radio et à la télévision (1969)...

Quelques commentateurs ont estimé qu'on avait pas, dans les médias, accordé à Tex l'importance qu'il mérite dans les jours suivant son décès... Sans doute doit-on voir là une preuve additionnelle de l'effacement graduel de notre mémoire collective...

Aucun commentaire:

Publier un commentaire