jeudi 31 mai 2018

Le Québec et l'Ontario? «Pour moi, il ne s'agit pas de deux provinces distinctes», affirme le député William Amos

William Amos (photo officielle)


«Oui, je suis fier fédéraliste. Et la rivière des Outaouais, pour moi, n'est pas une frontière.»

«Ma conception de notre région de la capitale nationale (il s'agit ici de la capitale fédérale) est une vision d'arrimage Ottawa-Gatineau. (...) Pour moi, il ne s'agit pas de deux provinces distinctes.»

Vous êtes en faveur d'un district fédéral? «Oui, j'y crois.»

Ces paroles sont de William Amos, député libéral de la circonscription fédérale de Pontiac dont le territoire immense englobe, au-delà du Pontiac, la Haute-Gatineau, la Basse-Gatineau, la Basse-Lièvre, la banlieue gatinoise de Chelsea ainsi qu'un secteur dans l'est (Buckingham, Masson-Angers) de la ville de Gatineau...

William Amos compte parmi ces anglophones bilingues qui attachent beaucoup d'importance à la connaissance de la langue française, sans pour autant s'identifier à la culture franco-québécoise. Il représente une circonscription très majoritairement francophone (68%) où les anglophones forment cependant des majorités dans certains secteurs (Pontiac, Basse-Gatineau).

Dans les régions à forte présence anglophone, particulièrement dans le Pontiac, les collectivités de langue française s'anglicisent à un rythme alarmant. Les francophones pontissois ont été littéralement persécutés depuis le 19e siècle. Quant aux secteurs de la Basse-Gatineau et de Chelsea, les données du recensement 2016 y démontrent un taux d'anglicisation substantiel...

Mais revenons aux citations du début, recueillies par le chroniqueur Denis Gratton, dans le cadre des «Grandes entrevues» du quotidien Le Droit, sous le titre «William Amos, le pagayeur canadien» (bit.ly/2J6hc24). On y apprend que ce député, issu de l'ouest de la ville d'Ottawa, a passé la totalité de son primaire et secondaire en immersion française, et que pendant ses études universitaires, il a participé à un échange qui l'a amené à vivre et étudier à Grenoble, en France, pendant une année.

Cette immersion massive a fait de William Amos un francophile, sans aucun doute, mais ne l'a apparemment pas incité à épouser le bagage historique et les aspirations contemporaines des Québécois qu'il est censé représenter à la Chambre des communes. On comprend mieux pourquoi quand on sait que son père, Bruce Amos, a été chef de cabinet de Jean Chrétien et que William a lui-même oeuvré au cabinet Chrétien en 1996, dans l'ambiance post-référendaire anti-québécoise...

Cet Ottavien transplanté dans une banlieue anglicisante de Gatineau, comme les deux autres candidats libéraux anglophones élus dans Hull-Aylmer et Gatineau, ne croyait sans doute pas à ses chances au début de la campagne 2015, dans une circonscription où une vedette libérale, Lawrence Cannon, avait été rondement défait en 2011 par un néo-démocrate inconnu (8000 voix de majorité). Mêmes attentes, probablement, dans Hull-Aylmer et Gatineau où les aspirantes néo-démocrates avaient amassé des majorités respectives de 23 000 et 27 000 voix...

Mais les campagnes électorales sont toujours pleines d'imprévus, et à la veille du scrutin, les appuis du NPD au Québec s'évaporaient tandis qu'une vague Trudeau s'amplifiait. Alors les trois circonscriptions outaouaises massivement francophones ont élu des députés anglophones bilingues. Remarquez... ce ne sont pas des deux de pique. Loin de là. Tous trois, William Amos, Greg Fergus et Steven MacKinnon, apparaissent ministrables. Mais ne comptez pas sur eux pour défendre la nation québécoise à Ottawa...

William Amos n'y va pas par quatre chemins... Il dit clairement que pour lui, la rivière des Outaouais n'est pas une frontière, qu'il ne voit pas le Québec et l'Ontario comme deux provinces distinctes, et sa vision d'«arrimage Ottawa-Gatineau» l'amène à favoriser la création d'un district fédéral où le coeur urbain de l'Outaouais, Gatineau, ne ferait plus partie du Québec... et où l'Ontario serait amputé de la ville d'Ottawa...

Ce débat refait surface périodiquement. Il était très à la mode dans les années 1960. Mais là comme aujourd'hui, cette solution serait catastrophique pour les francophones des deux rives. Les parlant-français de la région de Gatineau ont été souvent malmenés, mais ils demeurent majoritaires et peuvent, s'ils le veulent, un jour, s'approprier les leviers du pouvoir pour assurer la pérennité de l'identité québécoise de l'Outaouais. S'ils devenaient citoyens d'un district fédéral, ils tomberaient sous la coupe d'une majorité anglophone et tous savent ce que cela signifie...

Même les Franco-Ontariens en ressortiraient perdants. Ottawa a toujours été la capitale de l'Ontario français et le quart des Franco-Ontariens y vivent. Sans l'apport démographique et culturel de la capitale, on assisterait rapidement à un effritement de ce qui reste de la force de frappe franco-ontarienne. Ça, le député Amos ne semble pas en avoir tenu compte...

William Amos n'est ni un ami ni un défenseur du Québec et des Québécois. On doit le lui dire. Lui rappeler que la rivière des Outaouais est véritablement une frontière politique et culturelle. Que l'Ontario et le Québec sont deux entités politiques distinctes, et que les gens de l'Outaouais qu'il représente font partie de la nation québécoise, reconnue par son propre parti. Et enfin, que favoriser un district fédéral constitue une trahison, au sens propre, de cette langue française qu'il a apprise et qu'il juge «très importante».


dimanche 27 mai 2018

Médecine: l'Université McGill francisera-t-elle tous ses cours à Gatineau d'ici 2020?


J'étais sur le point de dénoncer pour la nième fois le projet de formation médicale en anglais que l'Université McGill et le gouvernement Couillard mijotaient pour Gatineau et l'Outaouais quand je suis tombé par hasard sur un courte nouvelle de Radio-Canada (bit.ly/2LxpWjC) qui m'avait complètement échappé...

Le texte de quatre paragraphes, publié sur le site Web du diffuseur public le 25 janvier 2018, contenait pourtant une véritable bombe. On y annonçait, si j'ai bien compris, que la formation théorique devant être offerte en anglais seulement à la nouvelle faculté de médecine de McGill à Gatineau serait francisée à 100%, et ce, à temps pour l'ouverture de la faculté en 2020!

Après m'être administré quelques taloches bien méritées, je me suis demandé pourquoi une nouvelle si importante avait été résumée en quelques paragraphes, sans contexte, dans une salle de rédaction qui dispose des ressources pour aller au fond des choses. J'ai aussi peine à comprendre que le quotidien Le Droit n'ait pas placardé cette annonce en manchette, à la une, alors que la langue d'enseignement de la nouvelle faculté de médecine avait défrayé les manchettes dans ses pages en avril 2014 et en septembre 2016.

Comment se peut-il que le premier ministre Couillard, ainsi que son ministre de la Santé, Gaétan Barrette, et la cohorte de députés rouges de l'Outaouais, n'en aient pas profité pour accaparer - au moins en partie - le mérite de cette francisation d'urgence des cours de médecine de l'Université McGill? Pas de conférence de presse? Pas de communiqué? Pas de félicitations à qui que ce soit? Je n'ai rien trouvé... Pourtant, il y avait là une belle occasion de capital politique.

Puis j'ai relu le texte de Radio-Canada, qui semblait pourtant clair au départ. D'abord le titre: «La faculté de médecine de l'Outaouais veut offrir une formation à 100% en français». En soi, cela ne change pas grand-chose à ce que nous savions déjà. Les dirigeants de McGill avaient à peu près promis de franciser un jour l'enseignement théorique dispensé à Gatineau, mais n'avaient jamais proposé de calendrier précis. On avait même évoqué un échéancier d'une dizaine d'années...

Dans le premier paragraphe, cependant, ce n'est plus «veut offrir» mais «offrira», Citation exacte? «La faculté de médecine familiale qui doit voir le jour en 2020 en Outaouais offrira finalement l'enseignement entièrement en français, a assuré le vice-doyen à l'enseignement de la médecine dans la région de l'Outaouais pour l'Université McGill.» Que faut-il comprendre? On n'y dit pas expressément que l'enseignement se fera en français dès 2020. On le laisse entendre.

Dans le second paragraphe, la journaliste rappelle le tollé qu'avait suscité, en 2016, l'annonce que les étudiants francophones de l'Outaouais seraient obligés de suivre une formation théorique (les cours en classe) en anglais seulement. «Or, dit-elle, l'Université McGill, qui administre le projet, veut corriger la situation.» Encore une fois, rien de neuf. McGill disait vouloir corriger la situation lors de l'annonce en 2016. La question a toujours été: quand?

Enfin, dans le troisième paragraphe, on cite le vice-doyen Gilles Brousseau, de McGill: «On a un plan de francisation qui est en cours, qui devrait être réalisé pour 2020.» Je ne veux pas être trop pointilleux (oui, de fait, je veux l'être, parce qu'en journalisme c'est fondamental), mais cette citation ne clarifie pas tout. D'abord par l'emploi du conditionnel... Tout «devrait» aller... Combien de fois a-t-on entendu des propos pareils... Secundo, je m'interroge sur ce qui sera réalisé pour 2020: le plan de francisation, ou la francisation elle-même?

Voici ce qui n'est pas écrit noir sur blanc: l'Université McGill offrira dès 2020 tous ses cours théoriques en français à Gatineau. Jusqu'à maintenant, il n'y a jamais eu de garantie à cet égard. Remarquez...  ce problème n'aurait jamais existé si l'enseignement de la médecine en Outaouais avait été confié à l'une des universités de langue française, qui proposent des cours conçus par des francophones, pour des francophones. Voilà, au fond, le coeur du problème.

Les Franco-Ontariens et les Acadiens ont compris cela depuis longtemps...



vendredi 11 mai 2018

SOS Montfort? SOS Ontario français?


Y'a des sujets tabous chez les Franco-Ontariens... Avouer que les choses vont mal, très mal, en est un. Peut-être même le pire des tabous. On maquille allègrement les statistiques d''assimilation. On distribue généreusement les lunettes roses pour dissimuler les cieux d'orage. On multiplie les propos optimistes sur le dynamisme du présent et sur les brillants projets d'avenir... pendant que le sol se dérobe sous les pieds collectifs. Au lieu de dresser des barricades et lever les boucliers, on glisse en somnambules vers le gouffre!

Un exemple parmi d'autres? Le 14 avril 2018, le quotidien Le Droit révèle qu'à l'hôpital Montfort, symbole par excellence de la résistance franco-ontarienne, à peine 39% des patients hospitalisés demandent d'être servis en français (bit.ly/2ENWxNw]... Pire que cela, une infirmière (sous le couvert de l'anonymat et je la comprends...) affirme que l'anglais gagne du terrain au sein de l'administration, avec une infiltration croissante de notes de médecins en anglais, d'embauches de personnel anglophone et de formations unilingues anglaises. «On est en train d'en faire un hôpital anglophone», dit-elle.

Et ce n'est pas la première fois que circulent de telles affirmations. Dans un article de Philippe Orfali, publié dans Le Droit en novembre 2013 sous le titre L'anglais gagne du terrain à l'Hôpital Montfort, un professionnel de la santé (encore dans l'anonymat...) dénonçait l'introduction d'un nouveau logiciel unilingue anglais des dossiers médicaux. «Nous continuons à nous péter les bretelles avec la langue française quand en fait, la langue de travail devient de plus en plus l'anglais à Montfort.»

En mars 2015, toujours dans Le Droit (bit.ly/2Ino6Ql), le chroniqueur Denis Gratton racontait l'histoire d'un patient de Montfort, Collin Pigeon, qui n'arrivait pas à faire prononcer son nom en français par le personnel de l'hôpital. «Call-in Pidgeon, please...» Ayant refusé de se présenter tant qu'il ne serait pas appelé par son vrai nom, une infirmière l'a grondé... «On s'adresse de plus en plus aux gens en anglais et ça m'inquiète», devait ajouter M. Pigeon.

Denis Gratton en a rajouté dans sa chronique. Rappelant que sa conjointe s'était fracturée la cheville quelques mois plus tôt, on lui avait posé à Montfort une botte Aircast qu'il devait payer (ce n'est pas couvert par l'assurance-maladie). Se présentant à la vitrine avec la facture, le jeune préposé lui demande: «What can I do for you sir?» Est-ce un incident banal? Peut-être, avoue-t-il, mais - et c'est un gros mais - «on ne s'est pas battu pour ça»...

C'est un fait indiscutable - pour ceux et celles qui acceptent de voir la réalité en face - que l'Ontario français s'anglicise à un rythme alarmant, y compris dans la capitale fédérale où le taux d'assimilation dépasse les 30%... L'an dernier, le journaliste Sébastien Pierroz d'#ONfrI révélait (bit.ly/2rGrQpG) qu'à peine 6% des appelants au 3-1-1 d'Ottawa s'exprimaient en français, alors que les francophones forment plus de 16% de la population (ça, ce sont les chiffres inclusifs officiels... en réalité c'est environ 10%).

Cela signifie tout de même que la moitié des Franco-Ontariens d'Ottawa auront le réflexe de s'adresser en anglais au 3-1-1. Mais se peut-il que ce phénomène ne se limite pas à ce service municipal? L'an dernier, un article dans #ONfr notait qu'à Ottawa, les francophones n'ont pas toujours le réflexe de demander des services en français, pourtant disponibles, au palais de justice. En 2009, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario avait dû lancer une campagne pour exhorter les francophones à se prévaloir de leurs droits et à utiliser les services en français existants... De toute évidence, ce problème est loin d'être réglé...

Revenant à Montfort, il est encore temps de sauver l'essentiel, si au moins quelque autorité se donne la peine de reconnaître qu'il existe un problème. Cet hôpital devant lequel flotte le drapeau franco-ontarien offre nécessairement des services bilingues avec 60% de patients «anglophones», mais la langue de travail et de l'administration demeure essentiellement le français. Il suffit de tendre l'oreille dans les bureaux et aux postes infirmiers sur les étages pour s'en rendre compte. Hé, on parle même français au Tim Hortons de l'établissement (un miracle à Ottawa). 

Pour protéger les acquis et qui sait, faire de nouveaux gains, l'existence d'une collectivité franco-ontarienne est un préalable. C'est bien évident, direz-vous... Mais la question se pose de plus en plus, du moins à Ottawa, avec la disparition des quartiers francophones traditionnels et la dispersion des parlant-français dans les secteurs à majorité anglaise. Selon Statistique Canada, près de 70% des jeunes Franco-Ontariens auront une ou un conjoint de langue anglaise, et 75% de leurs enfants ne parleront pas français. Faites les maths et que restera-t-il dans quelques générations?

On ne peut rien contre l'exogamie (on ne devrait pas s'y opposer non plus, l'amour étant plus fort que tout), mais on pourrait sans doute reconnaître davantage la gravité du problème culturel que cela cause et l'aborder de front... en public. Les écoles de langue française en sont rendues à faire ce qu'elles appellent de la «construction identitaire» avec les jeunes écoliers, c'est-à-dire essayer de les franciser. Et elles remportent un certain succès, tout au moins en s'assurant que la langue est transmise à une nouvelle génération.

L'ancien ministre fédéral Stéphane Dion déclarait en 2012 à un colloque sur la francophonie hors-Québec que le plus grand défi des collectivités minoritaires de langue française était l'exogamie. Je ne suis pas sûr qu'il ait raison. D'autres facteurs tout aussi importants sont en cause. De toute façon, on ne peut - et on ne devrait pas - s'opposer à l'exogamie. Il faudrait plutôt apprendre à vivre avec, sans que la langue française en soit trop souvent la victime. Là se trouve le défi...

De toute façon, l'anglicisation des Franco-Ontariens ne s'explique pas seulement par l'exogamie. Loin de là. Une proportion appréciable des foyers où les deux conjoints sont francophones s'anglicise aussi... Les statistiques de Montfort ne sont, de fait, que la pointe d'un iceberg qui touche l'ensemble de la collectivité francophone d'Ottawa, voire de l'Ontario français tout entier. Si le rythme de décroissance des demandes de services en français se maintient, on finira par se demander «si le nombre justifie» le maintien d'un hôpital de langue française à Ottawa...

Faudra-t-il de nouveau scander «S.O.S. Montfort», comme en 1997?







mercredi 2 mai 2018

«nous n'aurons été qu'une page blanche de l'histoire»...


Au moment où
le Parti Québécois et Québec Solidaire mènent une lutte fratricide;
le Bloc québécois se désagrège sous les yeux de tous, sur la place publique;
les injures répandent une odeur de putréfaction dans les médias sociaux;
les dénonciations assourdissent les loyautés;
notre langue s'effrite dans la métropole où aurait dû battre le coeur de notre pays;
le décrochage scolaire et l'analphabétisme rongent nos élans culturels;
les rapaces de toujours rôdent autour d'une nation gangrenée, anxieux de nous achever,

je n'ai en tête que ce fragment de poème prophétique de Paul Chamberland, publié en 1964 aux Éditions Parti Pris...

«À ceux qui t'accuseront d'emboucher les trompettes patriotiques tu répondras qu'un pays de mauvais aloi est ton mal et ta mort

est-ce ma faute à moi si je souffre d'une terre à naître 
d'une terre occupée
d'un mal qui est le bien des autres
d'une mort qui nourrit la vie des autres

oui je sais     les vraies blessures ont la noble démesure d'un vin malheureux   elles sont belles elles émeuvent et nos blessures sont grises muettes  elles sonnent faux

est-ce ma faute à moi si nous mourons de vivre à demi et si notre malheur est la demi-vérité de notre confort

nous n'aurons même pas l'épitaphe des décapités des morts de faim des massacrés nous n'aurons été qu'une page blanche de l'histoire

même chanter notre malheur est faux   d'où lui tirer un nom une musique

qui entendra nos pas étouffés dans l'ornière américaine où nous précède et déjà nous efface la mort terrible et bariolée des peaux-rouges

en la ruelle Saint-Christophe s'achève un peuple jamais né une histoire à dormir debout un conte qui finit par le début

il était une fois... et nous n'aurons su dire que le balbutiement gêné d'un malheureux qui ne sait nommer son mal

et qui s'en va comme un mauvais plaisant honteux de sa souffrance comme d'un mensonge»...


Demain, peut-être, ça ira mieux... Je demeure un espérant... Mais, en attendant...